lundi 15 juin

lecture : mon cochon

Bernard est un homme heureux. Avec ses cent cinquante cochons, il travaille dur. C’est un sacré labeur que d’élever un tel troupeau ! Il travaille tous les jours, dix heures par jour.
Bernard habite un petit village de Bretagne et possède une ferme ancienne. Derrière celle-ci, un long hangar abrite les animaux. Et comme il est homme à prendre soin de ses cochons, un grand champ est à leur disposition, au fond duquel on aperçoit une petite forêt.
Bernard aime bien bichonner ses bêtes et en particulier les mères et leurs bébés qui tètent. Il aime également brosser les animaux pour qu’ils soient moins sales. Il en prend soin comme personne et en est fier. Souvent, il donne des noms aux petits porcelets qui viennent au monde. Les derniers ont été baptisés Constantine, Mirandole, Lustucru, Terminator, Cheyenne et Louisiane. Tout ce qui lui passe par la tête est possible et cette liberté l’amuse. Et il a de quoi en inventer, puisqu’il assiste à des naissances tous les mois.
Ce qu’il déteste, c’est compter son troupeau. Cent cinquante têtes, c’est un peu compliqué. Entre ceux qui se déplacent, ceux qui lui tournent autour, ceux qui sortent et ceux qui rentrent du hangar, ceux qui sont au fond du grand champ et ceux qui n’y sont plus, ceux qui partent pour l’abattoir et les petits qui grandissent, c’est un véritable casse-tête !
Bernard ne le sait pas encore, mais cette journée ne va pas être une journée comme les autres…

Il commence à être sur les nerfs. À cinq cents mètres de chez lui s’est installé un festival de musique électro. Ce grand rassemblement de jeunes consiste à écouter de la musique assourdissante vingt-quatre heures sur vingt-quatre et ce pendant trois jours ! Ce boum-boum incessant lui est vite devenu insupportable. Il n’a quasiment pas fermé l’œil de la nuit. Il est fatigué et irritable.
Et puis, il a vu quelques-uns de ses porcelets dodeliner de la tête au rythme du boum-boum. Et ça, ça ne lui plaît pas !
Il a hâte que ces jeunes venus de nulle part avec leur musique ahurissante partent au plus vite et que le calme revienne dans sa campagne paisible.

Tout à coup, une angoisse monte en lui.

Il connaît tellement son troupeau par cœur qu’il sent, sans même les avoir comptées, qu’il manque des bêtes.
Un coup de chaud lui monte à la tête.
Immédiatement, il entreprend l’exercice qu’il déteste faire.
1, 2, 3…76, 77, 78… 104, 105, 106… 132, 133, 134… 140 !
— Bon sang ! Cette fois c’est sûr ! Il en manque dix ! Je devrais en avoir cent cinquante tout rond !

D’abord, comme bien d’autres le feraient, il accuse sans raison cette troupe de jeunes qui a débarqué depuis peu sur le territoire de la commune. C’est un peu facile et déraisonnable, mais en quelques secondes il s’est persuadé qu’il n’y a pas de doute possible. Et quand Bernard s’est mis une idée dans le crâne, il n’aime pas en démordre et… il sait très bien faire sa tête de cochon !
Il fonce dans sa maison et saisit son téléphone pour appeler la gendarmerie. C’est ce gros bêta de Paterne qui décroche.
Bernard l’appelle ainsi depuis leur plus tendre enfance. Ils ont grandi dans le même village et se connaissent depuis toujours. Plus précisément depuis les bancs de l’école maternelle. À l’époque, on peut même dire qu’ils étaient « copains comme cochons ».
— Qu’est-ce qu’il se passe, Bernard ?
— On m’a volé dix bêtes !
— C’est pas vrai ?
— Mais si !
— Qui t’a fait ça ?
— Mais gros bêta, si j’appelle la gendarmerie, c’est pour que tu mènes l’enquête !
— Ah oui ! J’arrive !

Paterne se lève promptement de sa chaise et interpelle sa collègue
Myrtille :
— Viens ! On a une enquête à mener !
— Chez qui ?
— Chez ce gros bêta de Bernard, répond Paterne en ricanant, parce que ça l’amuse toujours d’appeler son vieil ami ainsi.
Comme il s’agit d’une affaire de la plus haute importance, le gendarme Paterne n’hésite pas à mettre le gyrophare et à faire crisser les pneus dans les virages.
En moins de cinq minutes, les deux gendarmes sont sur place.

Bernard les accueille. Très vite, Myrtille est indisposée par l’odeur saisissante des cochons.
— Il faut affronter la réalité du terrain ! assène Paterne à sa collègue.
L’œil contrarié, Bernard les emmène au hangar qui abrite son troupeau de 140 têtes… et 560 pieds.
Lorsqu’il voit la quantité de bêtes, Paterne est épaté par la réussite de son ami et ne peut s’empêcher de dire :
— Eh bien mon cochon !
Tel un fin limier très expérimenté (ce qu’il n’est pas…), le gendarme Paterne commence son enquête de terrain, tandis que les boums-boums continuent au loin et que la gendarmette pose mille questions à celui que son chef appelle « ce gros bêta de Bernard ».
Guidé par un flair un peu hésitant, l’officier s’avance seul en direction du champ, au milieu duquel errent quelques dizaines de cochons, le groin au sol, à la recherche de quelque chose à avaler.
Le grand champ se finit dans un sous-bois et très vite, Paterne découvre un élément qui pourrait bien faire avancer significativement son enquête !
Le vieil enclos a été poussé et a cédé : il y a un trou par laquelle un cochon pourrait facilement passer.
Très concentré, il prend son talkie-walkie et prévient sa partenaire de l’avancée de l’enquête, alors qu’elle était en train de regarder avec un grand étonnement des porcelets qui dodelinaient de la tête au rythme du boum-boum lointain.
Paterne regarde ses bottes en cuir réglementaires, qu’il a cirées avec application le matin même. Dès les premiers mètres parcourus sur le chemin qui commence au fond du champ, elles se retrouvent couvertes de boue. Il a beaucoup plu la veille et chaque pas fait des vrouic-vrouic évoquant le bruit d’une ventouse.
Il progresse néanmoins peu à peu sur ce passage bucolique, sous une voûte arborée, qui mène au champ occupé par le festival électro. Le cœur de Paterne bat bien fort. Il sait qu’il est sur la bonne piste parce qu’au sol il y a des traces de pattes de cochons. Il va bientôt tomber sur les kidnappeurs !
Un grouïck ! venant de la forêt le fait sursauter. Il vacille un peu sur ses jambes et tourne la tête vers la droite. Il aperçoit alors un sanglier qui s’enfuit. Ce n’est pas le type de cochon qu’il recherche. Mais quel suspense !
Il avance et avance encore jusqu’au hangar au bout du chemin. Le boum-boum assourdissant le dérange. Il est aux aguets et prudent, pose la main sur son arme de service encore dans son fourreau.
Il croit défaillir lorsque le boum-boum s’arrête une poignée de secondes. Quelqu’un prend la parole au micro. S’ensuivent des cris qui pourraient bien être ceux de cochons qu’on effraie !
Il continue doucement pour ne pas se faire repérer, mais ses souliers font toujours vrouic-vrouic à cause de cette boue collante.
Alors qu’il arrive tout près du hangar, son petit cœur de gendarme bat bien fort dans sa cage thoracique. Va-t-il tomber sur des tueurs de cochons qui se seraient servis dans l’exploitation de son ami ?
Avec précaution, il entrouvre la porte arrière du hangar et là, il a une sacrée surprise !
C’est l’endroit que les jeunes danseurs ont choisi pour regrouper les ordures. Trois cochons sont en train d’éventrer et de dévorer goulûment le contenu des poubelles !
Le gendarme demande à un garçon appuyé à l’encadrement de la porte principale ce que ces bêtes font là… Apparemment épuisé d’avoir trop dansé et trop peu dormi, ce dernier lui répond mollement « qu’ils devaient tout simplement avoir envie d’un peu de liberté » ! Et que « la vie devrait être plus cool pour ces pauvres bêtes » !
Sur le seuil de la grange, le jeune homme continue à fixer avec nonchalance le champ d’où vient tout le raffut.
Intrigué, et toujours pas satisfait du dénouement de son enquête puisqu’il n’a retrouvé que trois cochons sur dix, Paterne rejoint le gaillard un peu déjanté. De nouveau, il croit défaillir.
Sept cochons, à qui on a mis des casques de musique, se balancent au rythme du boum-boum émis par les gigantesques enceintes ! Les danseurs démarrent une sorte de « chenille » géante en se tenant tous par la taille. Et les cochons, de manière inattendue, se positionnent l’un derrière l’autre, les pattes avant sur le dos de celui qui les précède. Le gendarme n’en croit pas ses yeux ! En équilibre instable, ils se dandinent et remuent la tête au rythme du boum-boum
Est-il devenu fou ? Ce qu’il voit est-il une hallucination ? Ces cochons sont-ils des mutants ?
Paterne, sur le point de tomber dans les pommes, réalise néanmoins que son enquête est bouclée ! Il saisit son talkie-walkie et raconte le surprenant spectacle à sa collègue. Myrtille lui demande ce que les membres disparus du troupeau font sur la piste de danse. Il lui répond le ton las et avec des yeux fatigués qu’ils « devaient tout simplement avoir envie d’un peu de liberté ! » Et que « la vie devrait être plus cool pour ces bêtes ! »
La gendarmette n’en croit pas ses oreilles ! Elle cherche à comprendre ce que ses propos signifient, mais son collègue ne répond plus. Il s’est évanoui. C’était trop d’émotions pour lui.
Elle avertit Bernard qui, rassuré qu’on ait retrouvé ses bêtes, pousse un ouf de soulagement ! Puis il décide qu’il faut aller les chercher et qu’ils ne seront pas trop de trois pour les ramener à bon port. Il indique à Myrtille le chemin boueux. Cela réjouit peu la gendarmette… elle a ciré ses bottes le matin même !
Mais il lui faut impérativement rejoindre son collègue qui ne répond plus au talkie-walkie. Alors elle avance avec l’agriculteur, très déterminée à retrouver ses cochons fugueurs.
Le temps d’arriver, la musique s’est arrêtée.
Bernard et Myrtille voient venir à leur rencontre les dix cochons sur le chemin du retour, le gendarme Paterne, à moitié inconscient, à plat ventre sur le dos de l’un d’eux. Les cochons « électro », pour leur part, semblent heureux de retrouver leur enclos, après avoir passé un très bon moment de transe musicale…

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vendredi 5 juin

français

Un pingouin en cadeau  

 

Paul et Lucien se moquent depuis quelques jours de leur petit frère. Celui-ci s’est en effet mis dans la tête que, pour Noël, il voulait un pingouin. Un vrai pingouin.

— Un pingouin ici, à La Réunion ? T’es complètement siphonné, a ricané Paul.
— Quel crétin, ce gosse, a renchéri Lucien.

Marcel, qui était tout heureux à l’idée de recevoir cet oiseau dont il rêve depuis qu’il a vu La Marche de l’Empereur, est désemparé ; mais il reprend vite son aplomb. Ses grands frères sont jaloux, voilà tout. Il leur tire la langue et leur tourne le dos. Après tout, ce sont des vieux : ils ont au moins… au moins douze ans. Ils prétendent tout savoir mais ne comprennent rien !

La maîtresse ne s’est pas moquée de lui quand il lui a confié son projet. Elle a juste souri et en a profité pour expliquer à la classe la différence entre un pingouin et un manchot.
Elle lui a tout de même fait remarquer que ce n’était pas une très bonne idée :

— Un pingouin, c’est difficile à élever dans un appartement. Il aura du mal à s’adapter. Il risque d’être très malheureux. Il lui faut…

Et elle a parlé de milieu de vie, de température.
Perplexe, Marcel l’a écoutée avec attention, et la nuit suivante, il a fait des rêves… pas agréables du tout.

 

* * *


Il se lève tôt ce matin, passe une laisse au cou de son pingouin et sort dans la rue. Ses copains sont en bas de l’immeuble, avec leurs chiens, et ils regardent Marcel avec envie. Ils l’entourent et commencent à crier :

— Ton pingouin contre mon chien plus dix billes !
— Ton pingouin contre mon chien plus vingt billes !
— Plus cent billes !
— Plus deux cents billes !
— Plus trois cents billes !

Il entend aussi une petite voix qui lui dit tristement :
— J’aime pas cette rue ! J’aime pas ces garçons qui braillent. Il fait chaud, j’veux rentrer…

 

* * *


C’est l’heure du bain. Marcel se déshabille et, serrant son pingouin contre sa poitrine, il se laisse glisser dans l’eau.

— Trop chaud ! Trop chaud ! Trop chaud ! hurle le petit pingouin en se débattant.

Marcel ajoute de l’eau froide, encore de l’eau froide, et finit par aller chercher les bacs de glaçons du réfrigérateur. Le petit pingouin commence à trouver la température de l’eau agréable. Marcel en revanche grelotte !

 

* * *


Il fait très chaud dehors. Marcel emmène son pingouin sur la varangue ensoleillée. Il tend son visage vers le ciel : comme la chaleur des rayons d’or est agréable !
Ce n’est pas l’avis du pingouin qui se ratatine comme une vieille pomme… Vite, vite, Marcel court jusqu’à la cuisine, vide le contenu du réfrigérateur sur le carrelage, place l’animal dans l’appareil et referme la porte. Son cœur bat la chamade…
Il bat encore plus fort quand un remue-ménage venant de l’intérieur lui fait précipitamment rouvrir la porte : le pingouin, qui manque d’air, est en train d’étouffer.

 

* * *


Marcel est désolé. Il a compris qu’il lui faudra renoncer à son beau rêve. Dès l’ouverture du portail de l’école, il se précipite vers sa maîtresse :

— Maîtresse, tu pourras m’aider à écrire une autre lettre pour le Père Noël ?

Il parle, elle écoute. Ce petit bout de chou a bon cœur et ça lui plaît.

— Tu sais, dit-elle, tu as pris la bonne décision. Et je suis sûre que pour te récompenser, le Père Noël t’enverra plein de jolis rêves où tu retrouveras ton protégé !

Et, la veille de Noël :

Il fait nuit et Marcel entend quelqu’un frapper discrètement au carreau de sa chambre. De l’autre côté de la fenêtre, comme suspendu dans la nuit pailletée d’étoiles, le garçon distingue une silhouette familière qu’il identifie sans hésiter : le Père Noël ! C’est le Père Noël en personne ! Il est accompagné d’un renne attelé à un char garni de clochettes tintinnabulantes… Marcel s’installe près du Père Noël et l’attelage monte, monte dans l’air pur. Il survole des villes endormies, des montagnes, des océans… Et soudain :

— Oh !

Marcel n’en croit pas ses yeux : le Père Noël s’est posé sur la banquise au beau milieu d’une colonie de pingouins.
Il les admire, en caresse quelques-uns…
Mais le temps passe vite ; il faut retourner à la maison avant que la famille ne s’éveille.

Le matin du 25 décembre, Marcel a trouvé les cadeaux de sa nouvelle liste, mais aussi un très beau livre sur les animaux des régions polaires. Un pingouin en résine trônait même sur sa table de chevet.

— Ah ah ! C’est ça, ton « vrai pingouin », se sont de nouveau moqués ses frères.

Mais Marcel est resté zen : il sait qu’il a fait le bon choix !

Quant à la visite du Père Noël, il n’en dira rien à personne. Ce sera son secret. Il sait d’ailleurs déjà que cette visite sera suivie de beaucoup d’autres. Le Père Noël lui a promis de revenir le chercher pour lui faire découvrir beaucoup d’autres merveilles…

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un peu de sciences 

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au bonheur des bilingues

quelques modules d’allemand pour s’entrainer à entendre et à écrire la langue

mais accessible aux autres avec un peu d’entrainement

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vendredi 29 mai

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votre lecture

une flaque de larmes

J’aimais bien faire le trajet de l’école avec Emma.
Le matin, j’expédiais mon petit-déjeuner pour être au croisement avant elle. Parfois, maman disait : « Eh bien, en voilà une qu’est sacrément pressée d’aller à l’école ! » Alors je haussais les épaules en tournant la tête pour qu’elle me voie pas rougir, puis j’attrapais mon sac et je filais jusqu’au croisement, aussi vite que je pouvais. Au cas où elle arrive avant moi et qu’elle oublie de m’attendre. Même si c’est jamais arrivé.
Au croisement, il y avait un arbre. Je m’y adossais pour reprendre mon souffle. De là, je voyais la route que prenait Emma. Quand elle arrivait, je lui lançais : « Salut M ! ». Emma me répondait : « Ça boume, Howie ? ». Et on faisait ensemble le chemin jusqu’à l’école.

Emma avait lu tous les livres qu’on pouvait trouver par ici. Même ceux que les adultes disaient trop compliqués pour nous. Souvent, sur le trajet, elle me racontait une des centaines d’histoires qu’elle connaissait. Elle était capable d’expliquer tous les mystères de l’univers. Elle aurait pu frimer avec tout son savoir, mais c’était pas son genre. Elle expliquait les choses avec des mots simples, et souvent vous compreniez avant même qu’elle ait terminé.
Emma, c’était le savant le plus cool du monde, et moi, j’étais fière d’être son amie.

Ce jour-là, j’étais encore plus impatiente de la retrouver. Ce que j’avais à lui raconter, c’était incroyable. Je tournais en rond autour de l’arbre. J’arrêtais pas de surveiller la route.
Quand enfin Emma s’est pointée, j’ai bondi vers elle.

— Eh M, faut que je te raconte un truc ! J’ai pas idée de ce que ça peut être. J’en ai pas dormi, cette nuit. Peut-être tu vas croire que je suis folle. Ou que j’ai halluciné. Mais je sais ce que j’ai vu, et…

Elle s’est tournée vers moi et elle m’a dit en riant :

— Oublie pas de respirer, Howie. Ça va être compliqué de me raconter si tu respires pas.

Elle avait raison. J’ai respiré. Et j’ai commencé à lui raconter pendant que nous nous mettions en route.

— Je faisais mes devoirs dans ma chambre. La fenêtre ouverte. Il faisait super beau. À un moment, j’ai entendu comme des pleurs. C’était pas bien fort. Comme quelqu’un qui essaierait qu’on l’entende pas pleurer, mais qui serait trop triste pour s’arrêter. Ça venait de dehors…

J’avais toute l’attention d’Emma. Elle disait pas un mot. Elle hochait la tête et c’est tout.

— Je suis allée à la fenêtre, j’ai écouté attentivement, et là j’ai compris que ça venait de la haie. Je suis sortie, je me suis approchée sans faire de bruit et me suis accroupie pour regarder. Y avait quelque chose dans la haie, pas bien grand. À peine le temps de l’apercevoir, il avait filé sous les branches. Alors je l’ai suivi. À quatre pattes. En rampant, aussi. J’entendais les feuilles qui bougeaient, juste devant moi, et puis toujours les pleurs. Je l’apercevais par moments – petit, trapu, sombre – mais il disparaissait trop vite pour que je le voie bien. « Faut pas avoir peur », je lui ai dit, « je suis pas méchante », mais il continuait de fuir, piégé dans la haie, entre le mur qu’il pouvait pas traverser et le jardin où il osait pas s’aventurer. Au bout, je le savais, il allait se retrouver coincé.

Je me suis interrompue. Le temps de me demander une dernière fois si j’étais bien sûre de ce que j’avais vu, et surtout si j’étais prête à raconter ça à Emma. Elle m’a pas laissé le temps d’y réfléchir bien longtemps.

— Et alors, elle m’a relancée, tu l’as rattrapé ?
— Il s’est retrouvé coincé. Exactement comme j’avais prévu. Entre le mur et la cabane de jardin, au bout de la haie, avec moi qui arrivais derrière lui. Il s’est mis à pleurer encore plus fort. J’entendais ses sanglots comme je rampais vers lui. Ça m’a rendue encore plus curieuse… J’ai continué jusqu’à me retrouver devant lui. J’ai pas eu beaucoup de temps pour le voir, mais je risque pas de l’oublier ! Il était tout petit. Ramassé sur lui-même. Une peau brunâtre, toute plissée, deux fois trop grande pour lui. Et couverte de pustules. Ou de verrues, je sais pas. Un groin morveux, et puis ses yeux, avec des poches dessous et des larmes qui coulaient, comme un robinet resté ouvert. Ce qu’il était moche ! C’est pas possible d’être aussi moche ! Mais pas moche à faire peur, non. Plutôt moche à dégoûter.

Raconter l’histoire, c’était comme être à nouveau dans la haie. Ça m’a fait frissonner.

— Je pourrais jamais l’oublier, c’est sûr. Et puis d’un coup… D’un coup, il a fondu en larmes. Je veux dire vraiment fondu… Il est rien resté de lui, quoi ! Tellement il pleurait qu’à la place y avait plus qu’une flaque d’eau.

Emma et moi on est restées silencieuses.

— Je crois bien que je l’ai tué, j’ai murmuré. De sa façon à lui de mourir, quoi. C’est affreux. Je lui ai tellement fait peur que ça l’a tué.

À leur tour, mes yeux étaient pleins de larmes. J’avais pas envie qu’Emma me voie comme ça, alors j’ai regardé mes pieds.

— T’as pas pris de photo ? elle m’a demandé.
— J’y ai pas pensé, j’ai soupiré. Enfin si, mais trop tard. J’ai juste pris la flaque.

Je la lui ai montrée sur mon téléphone. Elle a froncé les sourcils. Puis elle a agrandi la photo, et pointé quelque chose, et a dit, pensive « Des larmes et des bulles… » Et puis elle a fait une recherche et, me montrant l’écran, a ajouté « C’est ça que tu as vu ? » J’ai pas pu me retenir de crier. C’était juste un dessin, mais c’était exactement ça. Aussi moche qu’en vrai.

— Alors c’est pas une légende… a dit Emma. J’ai lu un livre qui parle d’un tas de créatures imaginaires, du monde entier. Parmi elles, y en a une très timide et très laide, et si triste d’être aussi laide et seule qu’elle pleure tout le temps sur son sort. Il paraît qu’un jour, un chasseur l’a capturée et enfermée dans un sac, mais quand il a ouvert son sac, il y avait rien d’autre dedans que de l’eau. Des larmes et des bulles.

On s’était arrêtées à quelques mètres de l’école. Les autres nous saluaient, mais c’est à peine si on leur répondait.

— Et elle a un nom, cette créature ? j’ai demandé.
— Ouais, a répondu Emma. C’est un squonk.
— Un squonk, j’ai répété. Y avait un squonk dans ma haie, peut-être le seul au monde, et je l’ai tué.
— Non, a souri Emma, tu l’as pas tué. C’est sa façon de s’échapper, pas de mourir. Après, il a dû reprendre sa forme.
— Je préfère ça, j’ai dit, soulagée. En tout cas, c’est une sacrée découverte ! Tu te rends compte ? Il faut qu’on dise aux gens que c’est pas une légende !
— Je crois surtout qu’il faut le laisser en paix, Howie, m’a stoppée Emma. Imagine sa vie, si ça se sait.

J’ai réfléchi. Elle avait raison. Vu comme sont les gens, ils allaient chercher à le capturer. L’enfermer, l’étudier et sûrement le disséquer. C’était mieux de rien dire à personne. Y avait plein de bestioles dans le monde qui existeraient encore si on les avait prises pour des légendes, comme les dodos, ou peut-être même les licornes. Et puis, ça faisait un secret juste à nous deux, et ça me plaisait bien.

— Allez, j’ai dit, ça va bientôt sonner.

Et ensemble on a franchi le portail de l’école.

un peu d’allemand