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la lecture du jour : Grand-Mère s’en va-t-en guerre
Grand-mère a été une petite fille, elle aussi. Ça me fait toujours rire quand elle me dit ça. Petite fille ? En short, avec des tongs et des T-shirts ? Noooon ! Non. Elle est honnête Grand-mère, elle ne raconte pas n’importe quoi (pas de balivernes, c’est son mot à elle). Quand elle était petite, c’était la guerre. La vraie. Dans son pays ! On n’avait pas encore inventé les tongs. Mais les tanks et les fusils et les bombes, oui. Tout cela existait depuis très longtemps. Et la méchanceté aussi.
J’ai peur et en même temps, j’aime bien quand elle me raconte des histoires de ce temps-là. Grand-mère, qui vivait loin dans une ville du Nord, avait été obligée de traverser toute la France avec sa famille, pour fuir les bombardements et éviter la mort. Elle s’était réfugiée dans un village du Sud ; cela s’appelait la « zone libre » parce que les soldats ennemis n’y étaient pas encore arrivés. Les gens du village avaient prêté des maisons, des meubles. Mais Grand-mère n’était pas très heureuse ; tout lui manquait : son papa – qui était prisonnier de guerre – son école, ses affaires qu’elle avait laissées dans sa vraie maison.
Malgré tout, les voisins de Grand-mère, Monsieur et Madame V., étaient très gentils. Ils étaient vieux. C’est pour cela que Monsieur V. n’était pas parti faire la guerre. Grand-mère dit qu’il « n’avait pas été mobilisé ». C’était pourtant un homme très courageux. Il était résistant. Mais ça, Grand-mère ne l’a su que beaucoup plus tard, quand la guerre a été finie.
Et puis, les soldats ennemis ont fini par arriver. Ils se sont installés partout. Il n’y avait plus de zone libre. Ils surveillaient tout, on ne pouvait pas se déplacer comme on voulait, où on voulait, quand on voulait. À tout moment, on risquait de se faire contrôler. Il fallait montrer ses papiers, dire où on allait, pourquoi on y allait. C’était très compliqué et parfois dangereux.
Un soir, quelqu’un a frappé à la porte, fort, très très fort. Dehors, il faisait nuit noire. Dans la rue, à cette époque-là, il n’y avait pas de lampadaires, même pas la plus petite lanterne. Et ce soir-là, ni lune, ni étoiles non plus. La maman de Grand-mère va ouvrir. Un soldat immense masque presque toute l’ouverture. Dans la pénombre, on aperçoit sa voiture stationnée juste devant la maison, avec un autre homme au volant.
Grand-mère, blottie dans les jambes de sa maman, a presque le nez sur l’arme du soldat. Elle a envie de pleurer, de crier. Sa maman lui prend la main et la serre fort. Grand-mère n’est pas vraiment rassurée, mais elle comprend qu’il faut se taire. Sa maman lui a très souvent expliqué ces choses et lui a enseigné ce qu’il faudrait faire, au cas où les soldats viendraient à la maison :
— Ne parle pas, ne pleure pas. Si je te serre la main très fort et te demande d’aller te coucher, vite disparais ! Mais au lieu d’aller dans ta chambre, passe par la petite porte de derrière sans faire de bruit, pendant que je continue à parler avec les soldats. Fais vite, très vite ! Tu frappes trois coups – pas plus, trois coups, c’est tout ! – à la porte de la cuisine de Monsieur et Madame V. Tu dis « Ils sont là » et tu reviens en courant.
Le soldat a un drôle d’accent ; quand il parle, on dirait qu’il crache des clous et des marteaux.
— Va te coucher ma grande ! ordonne sa maman.
Grand-mère file. Elle a le temps d’entendre sa mère répondre très calmement au soldat :
— Pouvez-vous répéter ? Je n’ai pas bien compris.
Pourvu qu’il ne s’énerve pas, pourvu qu’il ne frappe pas, pourvu… Mais il n’y a pas de temps à perdre. Elle réfléchira plus tard.
La petite porte est bien huilée, elle ne grince pas. Grand-mère est dans la nuit, elle avance le plus vite possible, à l’aveuglette dans l’herbe et la terre du jardin ; elle piétine les semis, tant pis. Heureusement, il n’y a pas de clôture qui sépare les deux propriétés. Enfin, le mur de la maison des voisins : dans le noir, Grand-mère se guide en tâtonnant sur les pierres. Voici la porte de la cuisine. On aperçoit un minuscule rai de lumière. Vite, vite, il faut frapper sans hésiter. Assez fort pour donner l’alerte mais sans être entendue par les soldats. Grand-mère respire à fond et toc, toc, toc. Tout de suite Monsieur V. entrouvre.
— Ils sont là ! dit Grand-mère dans un souffle et elle repart en vitesse, mais discrètement. Elle piétine une seconde fois les plates-bandes du jardin, se faufile par la porte arrière de la maison.
Elle trouve sa maman calmement installée à la table de la cuisine, en train de repriser une chaussette de laine, dans la douce lumière de l’abat-jour. Grand-mère a l’impression de se réveiller d’un cauchemar. Toutes les choses sont à leur place. Sa maman lui sourit :
— As-tu fait comme je t’avais expliqué ?
— Oui maman.
— Très bien, va te coucher.
Elles s’embrassent fort, comme si elles ne s’étaient pas vues depuis longtemps.
Le lendemain matin, en partant à l’école, Grand-mère a croisé Monsieur V. Il avait l’air encore plus vieux et fatigué que d’habitude, mais il lui a fait un grand sourire. À midi, un énorme panier de pommes trônait dans la cuisine. Un cadeau des voisins.
Quand la guerre a été finie, Grand-mère a appris que grâce à elle et à sa maman, Monsieur V. avait pu se cacher avant que les soldats n’arrivent chez lui. Le parachutiste anglais, qui était dans la cave, avait eu également le temps de s’enfuir. La maman de Grand-mère avait gagné de précieuses minutes en discutant avec le soldat pendant que Grand-mère courait de toutes ses petites jambes pour alerter les voisins.
Grand-mère et sa maman ont reçu chacune une médaille pour ce qu’elles ont fait. Grand-mère m’a promis de me donner la sienne. Elle ne la porte jamais. Cela lui rappelle trop sa peur cette nuit-là et pendant tout le temps de la guerre. Ce n’était pas facile d’être une petite fille à cette époque-là.