jeudi 30 avril

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Lecture : La tortue téléportée

Tout avait commencé alors qu’Aria promenait Sherlock le long de la rue des Mauvais Vents.
C’était les vacances. Pour faire plaisir à Maman, Aria avait refermé à regret son livre – il ne restait que six statuettes après que Rogers ait été retrouvé mort tandis qu’il coupait du bois et Aria n’était pas convaincue que Miss Brent soit la coupable – pour sortir Sherlock.

— Chérie, avait dit Maman sans lever les yeux de sa tablette, tu ne peux pas passer toutes tes journées plongée dans tes livres, la vraie vie est dehors tu sais. Sors un peu, ça te fera du bien. Fais-le au moins pour le chien, il adore ça.

Les regards d’Aria et de Sherlock s’étaient croisés, tous deux avaient soupiré avant de se lever pour se diriger vers la porte d’un pas traînant. Peine perdue, Maman souriait en faisant défiler Dieu sait quoi sur son écran et ne captait rien des manifestations de mauvaise grâce des deux expulsés.
Au moins il faisait beau. Le vent qui soufflait encore quelques minutes plus tôt était tombé après avoir chassé les derniers nuages. Il n’y avait pas grand monde dans les rues, rien qui puisse détourner les pensées d’Aria de Dix petits nègres. Qui serait la cinquième victime ? Qui était l’assassin ? Était-ce l’un des six survivants ?

Arrivée au pied de la montée des Vignes, Aria remarqua un skateboard abandonné sur la chaussée, près du trottoir. Elle reconnut celui de Pedro, un garçon qui était dans la même classe qu’elle. La planche de Pedro était rouge et une tête stylisée de taureau y était peinte en noir. On ne pouvait la confondre avec aucune autre. Aria regarda autour d’elle, mais il n’y avait aucune trace de son ami. Pas plus dans la rue que dans le jardin public tout près duquel Sherlock et elle se trouvaient. Pedro n’était pas du genre à laisser traîner ses affaires, et ce skate moins que toute autre. Le père de Pedro avait parcouru les trottoirs de Barcelone sur cette planche lorsqu’il avait son âge. Il l’avait offerte à son fils deux ans plus tôt, lorsqu’il était rentré au pays, après le divorce.

— Je sais, dit Aria en regardant Sherlock, cette planche n’a aucune raison de se trouver ici si Pedro n’y est pas !

Le chien approuva d’un battement de queue.
Aria tourna la tête vers la montée des Vignes. Pedro habitait une maison tout en haut, avec sa mère et son jeune frère. La jeune fille ramassa la planche et, Sherlock sur ses talons, gravit la côte.
C’était le branle-bas le combat dans le jardin des Nuñez. Le frère de Pedro tournait à quatre pattes autour de la balançoire, écartant les herbes hautes et y enfouissant parfois la tête, tandis qu’une dame âgée – sa grand-mère ? – jetait l’un après l’autre au milieu du jardin les coussins empilés sous l’auvent. Ici non plus, aucune trace de Pedro.

— Excusez-moi… hasarda Aria, par-dessus la haie basse, grillagée, qui fermait le jardin.

Personne ne sembla l’entendre.

— Excusez-moi, répéta-t-elle plus fort, est-ce que Pedro est là ?

Elle ne put retenir un cri quand le garçon surgit de derrière la haie.

— Eh, salut Aria, dit-il en brossant de la main son jean. Désolé de t’avoir fait peur. J’étais dans la haie.

Il portait un tee-shirt trop grand à l’effigie d’un vieux groupe de rock et un bonnet en laine dont dépassaient des mèches de ses longs cheveux noirs.
Puis, avisant le skateboard qu’Aria serrait contre elle, il dit :

— On dirait… Mais c’est mon skate ! Qu’est-ce que…
— Je l’ai trouvé en bas, vers le jardin public. Il était dans la rue.

Pedro regarda vers la maison.

— Je l’avais pourtant rentré.
— T’es sûr que tu l’as pas laissé sur le trottoir ? demanda Aria. Sinon comment aurait-il roulé jusqu’en bas ?
— Non ! Jamais de la vie ! C’est le skate de mon père, quand même. Tu sais bien ! Ou alors… ajouta-t-il en se tournant vers son frère qui, toujours à quatre pattes, élargissait les cercles qu’il traçait autour de la balançoire. Non, il sait qu’il n’a pas le droit d’y toucher. Il s’est suffisamment fait disputer la dernière fois. En tout cas, merci de l’avoir retrouvé !

Aria lui tendit la planche par-dessus la haie.

— Il se passe quoi, ici ? demanda-t-elle en regardant le jardin, étonnée par ce qu’elle y voyait.

Le frère de Pedro était maintenant hissé sur la balançoire, débout, et à la manière d’une vigie il examinait le jardin depuis son poste d’observation, la main en visière, tandis que la grand-mère – Aria se souvenait maintenant qu’elle était venue d’Espagne pour passer les vacances avec sa fille et ses petits-enfants – disparaissait derrière le tas de bois sous l’auvent.

— C’est la tortue de Juan, répondit Pedro. On sait pas où elle est. C’est pas son genre de disparaître. C’est pas une aventurière.
— Pétunia, c’est ça ?
— Euh… Oui. On cherche partout mais on ne la retrouve pas.
— Je peux vous donner un coup de main ? proposa Aria.

Sherlock hocha la tête de satisfaction et Pedro leur ouvrit le portillon.
Après quelques minutes de vaines recherches, Sherlock vint se planter devant Aria.

— Il faut en revenir aux faits, lui souffla-t-il, avec ce ton agacé qu’il prenait toujours dans ces cas-là, et à leur chronologie. Combien d’affaires mystérieuses sont-elles résolues grâce à un examen froid et logique des faits ?

Dieu merci, personne d’autre qu’Aria n’entendait les conseils que lui adressait son chien.

— Ça va, rétorqua-t-elle sans desserrer les dents et en le regardant de haut. J’allais le faire. Qu’est-ce que tu crois ?

D’un battement de queue las, Sherlock lui fit comprendre qu’il n’était pas dupe mais qu’il ne souhaitait pas en débattre davantage.

— Bon, lança Aria, faut se rendre à l’évidence : si la tortue n’est pas dans le jardin, c’est qu’elle est ailleurs.
— Quelqu’un l’a volée, gémit Juan. C’est les Chinois. Grégoire m’a dit que les Chinois mangent de la soupe de tortue. Il a vu ça dans un restaurant. C’est un coup des Chinois, c’est sûr !
— Quels Chinois ? répliqua Pedro, agacé. Où as-tu vu des Chinois, par ici ?
— Ben, et ceux de l’autre côté de la rue ?
— Yoko ? Mais elle est japonaise, Yoko, pas chinoise !
— Alors des sushis à la tortue, peut-être ?
— On ne s’emballe pas ! coupa Aria. La dernière fois que quelqu’un a vu Pétunia, c’était quand ?

Pedro se tourna vers Juan. Celui-ci haussa les épaules et répondit :

— C’était quand je lui ai apporté une feuille de salade, pour son goûter. Vers quatre heures.

Aria hocha la tête, d’un air pensif.

— Et vous avez constaté sa disparition quand ?
— C’est ma grand-mère qui s’en est rendu compte, dit Pedro. Il y a un quart d’heure, à peu près. C’est bien ça, Abuelita ?
— Si, répondit la grand-mère en émergeant de derrière le tas de bois de chauffage, sous l’auvent, la frontale avec laquelle elle explorait ce coin sombre encore allumée. Quince minutos.
— Ok, dit Aria en jetant un coup d’œil vers Sherlock.

Le chien faisait mine d’observer un papillon, la tête penchée sur le côté. Il tirait la langue à la manière d’un chien ordinaire, ce qui lui donnait un air inoffensif. Mais Aria n’était pas dupe. Sherlock ne perdait pas une miette de ce qui se disait. Il attendait simplement le moment propice pour l’humilier, en résolvant cette disparition avant elle. Elle ne devait pas lui laisser l’initiative.

— Ça laisse à peine une demi-heure entre les deux observations, dit-elle en regardant sa montre. Où était Pétunia quand tu lui as apporté son goûter ? ajouta-t-elle en se tournant vers Juan.
— Pourquoi tu l’appelles Pétunia ? lui demanda le jeune garçon en fronçant les sourcils. Elle s’appelle pas Pétunia, ma tortue ! C’est pas une fleur. Son nom c’est Pequeña.

Aria se tourna, vers Pedro, interrogatrice.
Son ami hocha gravement la tête.

— J’ai pas osé te reprendre, Aria. Je voulais pas que tu te vexes.

Il sembla à Aria que Sherlock ricanait, mais le mieux était de l’ignorer.

— D’accord, dit-elle. Pequeña. Elle était où, Pequeña ?

Juan pointa du doigt le petit bassin qui se trouvait près du mur, entre deux rosiers.

— D’accord, dit à nouveau Aria.

Puis, se tournant vers la cour goudronnée qui succédait au jardin et descendait légèrement vers la porte donnant sur la rue, close.

— Et le portillon était fermé ?
— Oui, comme toujours, répondit Pedro. On le laisse jamais ouvert. À cause de la tortue, justement.
— Le portillon était fermé, et le skateboard était à l’intérieur, c’est bien ça ?
— Ben… oui.

La voix de Pedro était soudain moins assurée et il se tourna vers son frère.

— La porte était fermée quand Abuelita a dit qu’elle ne trouvait pas la tortue, se dépêcha de dire Juan. Elle était fermée, je le jure.

Sa voix tremblait.

— Oui mais, un peu avant qu’elle s’en aperçoive ? insista Aria.
— Juan ? demanda la grand-mère. Dime la verdad.

Le garçon se mit à pleurer.

— Elle était pas dans la rue quand j’ai fermé la porte, parvint-il à articuler entre les larmes. J’ai regardé. Pequeña va pas assez vite pour aller plus loin que je pouvais voir. Ça faisait pas plus de dix minutes que je lui avais donné sa feuille de salade quand j’ai fermé la porte. Elle était pas dans la rue. Alors c’est qu’elle était forcément dans le jardin.
— Compte tenu du fait qu’une tortue se déplace à deux cent cinquante mètres à l’heure, en dix minutes elle peut parcourir une quarantaine de mètres, environ, dit Sherlock en baillant. En supposant qu’elle se soit mise en marche sans prendre le temps de manger son goûter, qu’elle ne se soit pas arrêtée une seconde, et qu’elle soit allée en ligne droite, elle aurait été, au pire au milieu de la rue. Le gamin n’aurait pas pu la rater. Sauf…

Aria jeta un regard inquiet autour d’elle. Comme toujours, elle était la seule à avoir entendu la pédante leçon de son chien. Elle fronça les sourcils en direction de Sherlock et celui-ci se dirigea vers le portillon.

— Suivez-moi, dit Aria en dépassant son chien à grandes enjambées.

Elle ouvrit le portillon et descendit la montée des Vignes, suivie de la famille Nuñez et de Sherlock.

Revenue à la rue des Mauvais Vents, elle regarda le sol, puis se tourna vers la montée par laquelle ils étaient arrivés, les autres formant un demi-cercle autour d’elle. La grand-mère avec sa frontale allumée, Juan qui continuait de pleurer doucement, se disant sans doute que les larmes le protégeaient d’une punition, et Pedro, son skateboard toujours sous le bras.

Suivant des yeux une trajectoire qui descendait depuis la maison des Nuñez jusqu’au point où ils se trouvaient, Aria dit à Pedro :

— C’est là que j’ai trouvé ton skate.

À son tour Pedro regarda vers sa maison puis, prenant sa planche entre ses mains, il secoua la tête.

— Pourtant, murmura-t-il, je l’ai rentrée, j’en suis sûr. Je me revois le faire.
— Ce que les humains sont lents, marmonna Sherlock. Faut pas s’étonner que vous ne soyez pas capables de régler les problèmes de cette planète si vous n’êtes même pas capables d’additionner deux plus deux !

Aria se retint de renvoyer le chien à la maison à coups de pied dans les fesses.
Juan se mit à pleurer plus fort, attirant l’attention bien malgré lui.

— Pardon, pardon, pardon ! implora le jeune garçon.
— Bon sang, Juan, cria Pedro, tu m’avais promis…
— Ne lui en veux pas trop, Pedro, dit doucement Aria. Après tout, c’est aussi le skate de son père. Il a eu envie d’en faire un peu dans la rue. Mets-toi à sa place.
— Mais pourquoi l’a-t-il laissé ici ? Quelqu’un aurait pu le voler !
— Je l’ai pas laissé ici ! se défendit Juan, entre deux sanglots. Je suis juste resté devant la maison. J’en ai vraiment pas fait longtemps. Je suis vite rentré. Et j’ai oublié de fermer le portillon…
— Et dans ta précipitation, compléta Aria, tu as laissé le skate dans la cour, devant la maison, c’est ça.

Le jeune garçon hocha vigoureusement la tête en s’essuyant les yeux. Sa grand-mère lui tendit un mouchoir et l’attira contre elle pour l’apaiser.

— Ça ne nous dit pas comment mon skate s’est retrouvé ici, dit Pedro. Ni où est Pequeña.

Aria se tourna vers le jardin public, qui faisait face à la descente, et dit :

— À mon avis, elle n’est pas loin d’ici… !

D’un jappement bref, Sherlock confirma. Il était planté devant un massif à quelques mètres d’eux et remuait vigoureusement la queue.
Juan se précipita vers le chien. Quelques secondes plus tard, il émergeait d’entre deux orangers du Mexique couverts de petites fleurs blanches, la tortue entre les mains.

— Comment tu as deviné ? demanda-t-il, admiratif, en dévisageant Aria.

Puis, en regardant vers sa maison, si loin qu’on ne pouvait la voir, il ajouta, songeur :

— Et comment Pequeña a-t-elle fait pour arriver jusque-là, aussi vite ? Vous croyez qu’elle s’est téléportée ?

Aria jeta un rapide coup d’œil vers Sherlock.

— Élémentaire, dit-elle. Ni téléportation, ni magie. Seulement la gravité.

Elle désigna du menton le skateboard que Pedro tenait sous son bras.

— Tu as dû laisser le skate contre la bordure qui sépare le jardin de la cour. Ta tortue est montée sur le skateboard de ton frère, par hasard, et sous son poids il s’est mis à rouler et a suivi la pente de la cour, franchi le portillon ouvert, puis dévalé la rue. Arrivé en bas, il a buté contre le trottoir et Pequeña a été projetée dans les airs pour atterrir dans ces massifs.
— Ouah, dit Juan, en serrant plus fort sa tortue contre lui et en embrassant le sommet de sa petite tête.
— Une vidéo de Pequeña qui descend la montée des Vignes sur un skate… murmura Pedro, rêveur, en regardant la tortue dans les bras de son frère. Vous imaginez le nombre de vues que ça ferait sur YouTube ?